SHEKARCHI (2011) The hunter

Le cinéma iranien pourtant en proie à la censure et aux tracasseries administratives n’en finit pas de nous donner des œuvres fortes et passionnantes (courez voir une Séparation).Comme si la dictature et sa bureaucratie kafkaïenne stimulaient la créativité et le besoin de réaliser. Raffi Pitts a obtenu l’autorisation de tourner en Iran. Mais la menace que tout s’arrête est bien là. Son film se nourrit d’urgence et de précarité, et il devient pour son auteur une nécessité. Ainsi est-il traversé de bout en bout d’une sorte de rage qui est d’abord celle d’Ali, le mystérieux personnage principal (joué par le réalisateur lui-même). Enraciné dans la réalité politique, les manifestations puis les émeutes qui ont suivi les élections présidentielles de juin 2009, l’intrigue porte aussi toutes les marques d’un film noir habité très nettement par les influences revendiquées du cinéma américain. La parole est rare et le personnage refuse de se laisser enfermer dans une compréhension psychologique claire. Les ambiguïtés sont nombreuses et invitent le spectateur à s’investir et à donner lui-même sens aux situations et au comportement d’Ali. Pourquoi a-t-il fait de la prison ? Dans quelles circonstances sa femme et sa fille ont-elles été tuées ? Accident ou assassinat politique ? Pourquoi ces 2 policiers tués de sang- froid dans le décor autoroutier de Téhéran, par ailleurs aussi hallucinant que celui de Los Angeles ? Et finalement, Ali, chasseur ou gibier ? Ou les 2 à la fois ? Merci au réalisateur qui, par sa mise en scène et son interprétation, nous laisse regarder l’histoire comme nous le voulons. Même si la première partie du film, dans ses décors urbains, transmet plus de rage et d’énergie, et que la tension baisse quelque peu à partir de la chasse à l’homme, l’ensemble tient en haleine. Et on se réjouit que le cinéma soit une fois encore, plus qu’un refuge, un haut lieu de la liberté d’expression. Longue vie à ce cinéma lointain et universel, aussi utile que réjouissant !