Contraints de quitter leur appartement du centre de Téhéran en raison d'importants travaux menaçant leur immeuble, Emad et Rana emménagent dans un nouveau logement. Un incident en rapport avec l’ancienne locataire survient et va bouleverser la vie du jeune couple.
Il y avait eu le choc cinématographique de 2010, Une Séparation, et cette plongée dans un Iran plein de blessures mais tellement vivant, à la fois lointain et si proche. En 2013, il y eut Le Passé, tourné en France, et qui avait valu à Bérénice Béjo un prix d’interprétation à Cannes. Asghar Farhadi a tout d’un grand, capable de plonger le spectateur dans les mystères de l’âme humaine, rendus encore plus insondables par l’emprisonnement des esprits de la dictature iranienne.
Et voici que cette année, une partie de la critique cannoise a réservé au dernier film de Farhadi, un accueil plutôt mitigé. A chacun sa vérité, ce qui est d’ailleurs bien un des thèmes récurrents de l’œuvre du cinéaste. On peut bien sûr regretter qu’il creuse les mêmes sillons et que l’effet de sidération des premiers films parvenus en Occident s’est éventé. Mais il n’y a qu’avec de grands réalisateurs qu’on peut faire ce genre de constat, qui devient reproche pour certains critiques. Non, ce n’est pas le meilleur des films de Farhadi (un peu trop moralisateur, un peu trop mélo).
Oui, c’est un film passionnant, on s’attache aux personnages, leur drame intime se creuse progressivement, inexorablement, et le suspense est d’une haute intensité. De quoi sont victimes Emad et Rana, eux qui formaient un couple aimant d’intellectuels pour qui le théâtre est une passion qu’ils vivent dans la convivialité , et qui paraissent capables de ruser avec la censure et de vivre dans une certaine sérénité malgré toutes les difficultés quotidiennes d’un Téhéran chaotique ? Belles scènes de complicité entre Emad, prof de littérature et ces adolescents moqueurs et respectueux à la fois. Belles scènes d’amitié entre des jeunes femmes dont le régime qui prétend les enfermer n’a pas entamé la joie de vivre. Mais tout cela va se désintégrer, craquer sous le poids de choix qui séparent.
Dans une sordide affaire connotée d’agression sexuelle, Emad choisit la vengeance, par un cheminement où le poids des préjugés machistes finit par être le plus fort. Rana choisit la voie de la compassion et du pardon, elle qui a pourtant été la plus meurtrie. Pas réjouissant, nous revoici dans le scénario d’une séparation aussi indésirée qu’inéluctable. Mais passionnant, et l’interprétation de Shalab Hosseini (Prix d’interprétation à Cannes) et de la belle Taranch Alidoosti témoigne d’une parfaite complicité avec le réalisateur…et avec leurs personnages.
Jean-Pierre Sculier
Bonus dvd : Making of (23’) / Interview de Asghar Farhadi / Bande-annonce